samedi 9 novembre 2013

Allocution de frère Aloïs, prieur de la communauté de Taizé lors des conversations oecuméniques

photo (c) Peter Williams COE
Trois frères de la Communauté de Taizé, y compris le prieur Frère Aloïs, ont accompagné différentes parties de l'assemblée de Busan - la plénière sur l'unité par exemple. Un temps de prière selon la tradition de la communauté a été proposé à midi un jour. Les frères ont également accompagné la conversation œcuménique numéro 1 (il y avait en 21 en total, voilà la liste) sur les défis des grands changements dans le paysage ecclésial et œcuménique. On va certainement revenir sur ces conversations sur le blog, les participants étaient inscrits à la même conversation pendant les quatre séances, qui ont eu lieu les premiers jours de l'assemblée.

Les frères ont commencé chacune de nos quatre rencontres dans cette conversation sur le paysage mondial œcuménique en évolution avec un court moment de prière, de chant et d'écoute de la parole de Dieu en anglais et en français. Le 1er novembre, Frère Alois était invité à faire une contribution plus formelle lors des conversations et nous avons eu l'accord de la communauté de vous le retransmettre ici. Enraciné dans un œcuménisme spirituel en contact avec des milliers de jeunes, c'est important d'écouter cette interpellation.

Par ailleurs vous avez peut être compris que je suis déjà de retour à Paris, depuis deux heures, mais nous allons continuer dans les jours et semaines à venir de remplir les blancs qui restent dans notre "blogathon". C'est en rentrant que l'on va se rendre compte de comment et si ce que nous avons expérimenté peut avoir de la pertinence pour notre témoignage.
Jane Stranz
photo de la chapelle à Taizé (c) Jane Stranz

Notre communauté de Taizé marquera l'an prochain les 75 ans de sa fondation. Nous sommes une petite centaine de frères, provenant des Églises protestantes, anglicane, ou de l'Église catholique, engagés pour toute la vie par les engagements monastiques. Depuis cinquante ans, nous accueillons des jeunes, ils étaient d'abord de divers pays européens, maintenant de tous les continents, plusieurs milliers par semaine pendant les mois d'été, mais aussi en hiver.

Pendant une semaine, ils participent trois fois par jour à notre prière. Le matin une introduction biblique donnée par un frère les oriente vers les sources de la foi. L'après-midi des carrefours leur permettent de faire le lien entre la foi et les réalités de leur existence, leur engagement dans l'Église, dans la société, dans la recherche scientifique, dans l'art...

Pour rendre possible la vie ensemble, certains sont responsables de l'animation des groupes, d'autres préparent les lieux de prière, prennent en charge cuisine, nettoyage, accompagnement des enfants lorsqu'il y a des rencontres de familles. Ces activités développent la conscience de leurs responsabilités et ils découvrent la valeur d'un travail qui donne sens à la vie. 

La présence de volontaires pour quelques mois est un grand soutien. Nous accueillons aussi, pour trois mois, des jeunes de continents lointains. Ils sont envoyés par leurs Eglises pour un séjour qui a valeur de stage de formation et qui apporte à nos rencontres un élargissement intercontinental.  
Dans l'esprit des jeunes de tous les continents, les technologies de communication ont favorisé une globalisation mais elles exacerbent aussi des sentiments d'injustice. Le dialogue est d'autant plus nécessaire, entre cultures, religions, générations... La question de la justice et de la solidarité devient plus urgente. Nous entendons des jeunes demander avec insistance qu’à la mondialisation de l’économie soit associée une mondialisation de la solidarité. Ils sont disposés à s'y engager.

Quant à leur appartenance religieuse, leur diversité est grandissante. Il y a ceux qui proviennent des Eglises historiques, orthodoxes, catholiques ou protestantes, certains ont un fort sens d'appartenance, ils sont souvent accompagnés par des pasteurs, des prêtres, des évêques. Nous accueillons des jeunes évangéliques, parfois avec des pasteurs. Mais en plus, nous voyons arriver des jeunes qui n'ont aucune identité confessionnelle. Amenés par leurs amis, ils sont en recherche et parfois très réceptifs à l'Evangile. Des contacts avec des jeunes pentecôtistes, nous en avons plutôt à travers ceux de nos frères qui vivent dans nos fraternités en divers endroits du monde, notamment au Brésil.

Il apparaît ainsi un nouveau défi : que proposer à ceux qui n'ont pas d'appartenance confessionnelle mais aiment le Christ ? Nous sentons là une tension. D'une part, nous voudrions leur donner accès à l'Évangile et nous réjouir de voir naître une confiance en Dieu, même pauvre, chez des jeunes parfois peu au clair sur le contenu de la foi. Et d'autre part, nous sommes conscients d'être appelés à les ouvrir au sens de l'Église, à la communion entre tous les baptisés.

Ce que nous cherchons ardemment, c'est d'aider les jeunes à faire une expérience de communion. Tous ne peuvent pas tout de suite appeler cette expérience du nom de communion, ils parlent d'amitié, de respect, d'entraide mutuelle... Il s’étonnent de surmonter des murs culturels et confessionnels. Ils en cherchent la cause. Et certains trouvent dans le Christ la source d'une unité sans frontières. Est-ce une manière d'être déjà reliés, plus ou moins consciemment, à ce mystère de communion qu'est l’Église ?

Nous sommes surpris de constater que ceux qui passent ensemble quelques jours sur notre colline, qu'ils soient orthodoxes, protestants ou catholiques, se sentent profondément unis... D'où est-ce que cela vient? Pendant une semaine, ils ont accepté de se mettre sous le même toit et de se tourner vers le Christ. En priant ensemble, en lisant ensemble la Bible, dans la simplicité d'une vie partagée, ils anticipent, ils vivent par avance, l'unité. Si c'est possible à Taizé, pourquoi ne le serait-ce pas ailleurs?

Nous nous sommes toujours refusés à organiser un mouvement de jeunes autour de Taizé. Pour continuer le chemin qu'ils ont approfondi à Taizé, nous les orientons vers leurs Églises d'origine. Pour les accompagner, depuis trente ans nous animons un « pèlerinage de confiance ». Ce pèlerinage est fait de rencontres, petites ou grandes, sur les divers continents.  

« Chercher la communion visible de tous ceux qui aiment le Christ », c'est le thème du pèlerinage pour 2014. Et je voudrais poser la question : les institutions œcuméniques pourraient-elles rendre davantage possible, visible, une communion, peut-être imparfaite, mais réelle, entre tous ceux qui aiment le Christ ?

Ne faudrait-il pas trouver le courage de nous tourner ensemble vers le Christ et de nous décider à nous “mettre sous le même toit”, sans attendre que toutes les formulations théologiques soient pleinement harmonisées ? Pourrions-nous exprimer notre unité, tout en sachant que les différences qui demeurent ne nous divisent pas, mais peuvent parfois même être un enrichissement?

Un jour, Jésus a eu cette belle expression: “Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures.” (Jean 14,2) Nous devrions peu à peu parvenir à rendre visible cette réalité : diverses demeures sous un même toit, diversité d'expressions de la même foi.

Quelles voies pour y parvenir ?

D'abord intensifier la prière commune. Des jeunes, appartenant à diverses confessions, se sont mis à organiser une fois par semaine, une fois par mois, ou une fois par trimestre, une veillée de réconciliation, pour se retrouver en présence de Dieu dans l’écoute de sa Parole, le silence et la louange. Être ensemble dans la prière, c’est déjà anticiper l'unité, l'Esprit Saint déjà nous unit.

Pour préparer de telles veillées, ces jeunes essaient de franchir des frontières, vers une autre paroisse, un autre mouvement. Ils réunissent des gens qui d'habitude ne se rencontrent pas, par exemple des étrangers et des gens du pays. Ils organisent ces veillées dans des lieux significatifs : une prison, un quartier qui souffre de violences, avec des enfants abandonnés...

Si de telles démarches de prière commune se multipliaient, cela permettrait sans doute aussi au dialogue théologique d'avancer.

Une autre voie pour se mettre sous le même toit concerne la pastorale. En beaucoup d'endroits, il existe déjà des collaborations interconfessionnelles, dans la pastorale des prisons, des hôpitaux. Pourquoi ne pas élargir ces collaborations, plutôt que de travailler en parallèle? Même dans des domaines plus sensibles comme l'éveil à la foi des enfants, la pastorale des jeunes... Faire ensemble tout ce qu'il est possible, ne rien faire sans tenir compte des autres.
Nous recevons notre identité de chrétiens par le baptême, commun à toutes les confessions. Pourrions-nous donner plus de visibilité à cette commune identité, au lieu de souligner nos identités confessionnelles ? Nous sommes chrétiens avant d'être orthodoxes, protestants, catholiques... Être unis au Christ est une identité commune plus profonde que tout. 

Frère Aloïs

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